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Renouer le fil de l’histoire

 

 

 

On dit que discourir sur l’art, pour le critiquer ou le théoriser, est un peu facile. L’exposition récente de Marie-Noëlle Pécarrère à l’espace Vallès était notamment remarquable par le défi relevé de proposer une réflexion sur l’art avec les seuls moyens des arts visuels. Elle re-présente des œuvres en introduisant des éléments déstabilisants, intrigants. Le regardeur re-connaît l’œuvre mais avec une nouvelle perspective. Il la ressent et la comprend autrement. L’exercice est délicat, il est ici réussi.

S’imposant dès l’entrée dans l’exposition, une installation associant des citations de Léonard de Vinci et Marcel Duchamp pose la question des rapports entre l’ancien et le contemporain. Le rouet tire inexorablement le fil, épuise l’image, pour n’en redonner qu’une étoupe que l’on ne se préoccupe pas de récupérer sur un fuseau comme le ferait toute fileuse de bon métier. De quoi laisser Anna Codde dubitative [*]. Ainsi, tout serait perdu. L’exposition ne le suggère pas. Au contraire, l’image domine, repensée dans sa relation avec l’idée. Elle nous dit que le fil de l’histoire est solide, que s’il casse on peut le renouer.

Au second plan, on aperçoit une série de cranes, plus tristes qu’inquiétants. Juste un détail, quelques mèches filasses, suffit à leur retirer toute vanité d’effrayer. Plus loin sur la droite, une reprise en noir et blanc du célèbre tableau de Courbet ; en fait quatre reprises pour constituer une œuvre unique : « 0rigines ». La couleur disparue durcit l’image dont l’indécence est devenue familière, quelques fils ajoutés la font basculer vers l’obscène. Ainsi ne s’en faut-il pas de grand-chose. Juste la matérialisation d’une intime pilosité pour provoquer ce basculement vers un réalisme dont on sait que le Japon a fait un tabou. Un instant, on entrevoit la gène du regardeur du XIX° (avec lequel Courbet a évité la confrontation).

Des portraits étranges, poétiques et philosophiques, évoquent la manière d’Arcimboldo. Images extravagantes d’une métaphysique terrienne qui intrigue. Les toiles sont élégantes, subtiles. Classiques, au fond. On aimerait en voir plus, c’est possible sur le site de l’artiste [ici]. On y découvre une œuvre singulière, poétique. Une œuvre surréaliste, ou plutôt un réalisme magique qui engage une réflexion sur la vie, la mort, sur le rapport au corps. Une tension douloureuse affleure, quelque chose qui évoque parfois Frida Kahlo, mais qui évoque seulement… on espère, bientôt, une nouvelle exposition dédiée à cette partie de l’œuvre.

L.S.

 

 

 

Marie-Noëlle Pécarrère : histoires détournées

 

C'est ainsi que Marie-Noëlle Pécarrère propose une relecture de la vie par des pièces picturales brodées aux visuels polysémiques traitant aussi bien des expressions populaires que de l'histoire de l'art, ou encore de la musique rock'n'roll à travers des titres d’œuvres qui mettent en parallèle personnages connus et paroles d'initiés. Dès l'entrée de l'Espace Vallès, l'artiste explore dans une série des expressions de la langue française (comme le fameux "cœur d'artichaut") grâce à de moyens formats où se mêlent peinture et broderie. La forme et la façon sont directement inspirées des grands maîtres de l'époque pour un rendu baroque : en résulte des images marquées de classicisme à la frontière du contemporain avec des fils aux couleurs vives, « dégoulinant comme de la peinture ».

On retrouve cette mixité d'époque et de méthode avec une autre série de portraits dans laquelle se font face Neil Armstrong et un fou du roi (pour ne citer qu'eux) dans un joyeux bazar de fils masquant les visages. Une confrontation poussée jusque dans l'intitulé des pièces reprenant les mots du groupe de rock The Stranglers.

Enfin, avec sa Dame à l'hermine, Marie-Noëlle Pécarrère évoque la mythologie grecque et la vanité tout en détournant un "ready made" de Marcel Duchamp, qui trouve alors une fonctionnalité, et déconstruit les tableaux de la Renaissance par le fil. Son travail est également marqué par Gustave Courbet, qu'elle reprend souvent tel un étendard féministe pointant du doigt l'angoisse du devoir de la femme. Avec sensibilité et ironie, Marie-Noëlle Pécarrère jette un regard amusé sur la création et la société pour développer une œuvre réflexive sur le jeu des apparences.

 

Mardi 8 décembre 2015 par Charline Corubolo

Petit Bulletin n°995

 

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